Pour venir en France, des migrants prennent de gros risques en traversant les Alpes. En 2023, près de 150.000 sont passés par l’Italie. En attendant la loi Immigration, reportage à la frontière.

Au cœur des montagnes, en cette fin décembre, parmi les vacanciers profitant des pistes de ski, se trouvent de jeunes hommes en quête d’un avenir meilleur en Europe. Descendant d’un bus à Clavière, village italien qui jouxte les Hautes-Alpes, l’expression tendue et résignée des migrants prêts à prendre tous les risques pour rejoindre la France contraste avec l’in- souciance des jeunes adolescents anglais qu’ils croisent, occupés à une joyeuse bataille de boules de neige.

Un périple de plus de dix heures

Voici un groupe composé d’une quinzaine de sans-papiers, pour la plupart issus d’Afrique subsaharienne et du Maroc. Pour eux, la neige est une nouveauté qui accen- tue le caractère menaçant des montagnes, à mesure que le défi auquel ils font face se précise.
Le soleil d’hiver faiblit pour laisser s’installer un froid glacial porté par le vent, et à l’abri sous le porche d’une cabane en bois, ils sont qua- tre à attendre la tombée de la nuit pour traverser. Si cette démarche permet d’être plus discret et d’éviter la police aux frontières, elle expose à des risques plus élevés de chute mortelle, certains chemins de traverses escarpés mesurant à peine cinquante centimètres de large. En 2018, Blessing Matthew, une migrante d’origine nigériane, s’était noyée dans la Durance, après y être tombée en fuyant un contrôle des forces de l’ordre. « Les arbres couchés sur la voie n’arrangent rien », se désole Fabrizio (1), un trentenaire aux lunettes rondes employé par une structure d’accueil pour migrants située en contrebas. Il désigne un chemin du doigt, le décrivant comme plus court mais plus abrupt et dangereux.

Il en existe un autre, de l’autre côté, plus long et plus facile, mais connu des services de police. Malgré les risques d’égarement, tous passeront la frontière cette nuit-là, au bout d’un périple de plus de dix heures pour rejoindre Briançon (Hautes-Alpes). Ces mêmes migrants passent par le refuge d’Oulx, où travaille Fabrizio. Dans le hall d’entrée, les murs sont couverts de dessins de drapeaux africains, iraniens ou afghans, de signatures ou de prénoms, marque du passage d’hommes et de femmes en quête d’un avenir.

Assis sur un tabouret, un Guinéen de 19 ans joue un air mélancolique à la guitare. Certains l’écoutent, d’autres scrutent Google Maps ou se reposent, en attendant le départ. À côté de la cantine, une petite salle fait office de vestiaire. Des habits chauds et des chaussures de montagne sont empilés pour équiper ceux qui s’apprêtent à partir. Sur la porte de la pièce, une carte de la zone est parsemée de têtes de morts pour renseigner les sans-papiers sur les chemins à éviter.


« Il le tentera autant de fois qu’il le faudra »

Aboubakar, 23 ans, a quitté le Mali il y a cinq ans. Il est passé par la Tunisie avant de rejoindre Lampedusa au bout d’un calvaire de trois jours en bateau. Dans ses yeux, on distingue une résilience que la fatigue accumulée affaiblit, mais ne supprime pas. « Avec l’aide de Dieu c’est plus facile » termine-t-il sobrement, lorsqu’on lui demande s’il redoute le passage de la frontière.


Il l’a déjà tenté une fois, mais a dû rebrousser chemin quand il a été confronté aux gardes-frontières. « Il le tentera autant de fois qu’il le faudra, comme tous les autres », explique un bénévole de l’association. La plupart rejoignent la France et souhaitent y rester, car leurs proches y sont déjà installés. L’un part pour Paris, où sa famille l’attend. Un autre veut aller à Lyon, où un ami est prêt à l’accueillir.


Côté français à Briançon, un autre refuge prend la main. Il offre le gîte et le couvert, pour trois nuits maximum. C’est un melting-pot de migrants, de marginaux européens, de jeunes militants d’extrême gauche et de simples bénévoles. (2)


Dans les cuisines de l’établissement, Christine, retraitée, s’affaire autour d’une très grosse marmite dans laquelle mijote une sauce qui embaume toute la pièce. Pour elle, l’association représente un « tiers-lieu intergénérationnel extraordinaire » où se rencontrent des personnes « avec les mêmes valeurs de solidarité », ce qui lui « re- donne du baume au cœur dans le contexte de la loi Immigration ».

Marc-Aurèle Barez

(1) Les prénoms de cet article ont été modifiés.

(2) Découvrez le travaille de ces associations suisse, française et italienne, notamment avec l’ONG suisse VanForLife

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