« L’envoi de troupes occidentales au sol en Ukraine ne doit pas être exclu à l’avenir », une déclaration qui a fait réagir de vive manière une grande partie de la classe politique et de la population européenne. En effet, personne ne s’attendait à une telle déclaration du président français Emmanuel Macron, lors de la conférence pour la défense de l’Ukraine ayant lieu à Paris, le 26 février 2024. Le 7 mars, devant les partis d’opposition ainsi que ses deux anciens prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, le Président Macron revient à la charge, déclarant : «On ne peut pas se permettre de se fixer des limites face à un ennemi qui ne s’en fixe aucune”. Décryptage et analyse.
L’Ukraine en mauvaise passe : des conséquences sur le monde occidental
Dans un premier temps, rappelons les faits. L’Ukraine est dans une mauvaise phase de la guerre, la population européenne soutient moins le conflit qu’en 2022 et selon un récent sondage d’Euronews, moins de 10% de la population croit en la victoire de l’Ukraine. Ce qui est très peu en comparaison du soutien qu’elle recevait il y a deux ans suite à l’invasion russe sur son territoire.
Parler de défaite ukrainienne serait trop prématuré, mais pour le moment l’avantage est à la Russie de Poutine. Reformulons : l’avantage est à une dictature écrasant le dernier rempart de la démocratie européenne.
On ne rappelle jamais trop pourquoi nous ne pouvons pas laisser la Russie de Poutine gagner ce conflit. Dans un premier temps, l’Ukraine sacrifie depuis une décennie une partie de sa population, afin de contenir son envahisseur – la Russie étant en Ukraine depuis 2014. Depuis 2022, elle s’érige en rempart de la démocratie, face à l’autocratie. Si le Kremlin gagne, nous ouvrons la porte à tous les régimes autoritaires du monde, en leur envoyant le signal suivant : « si vous souhaitez acquérir de nouveaux territoires, de nouvelles ressources, il suffit d’envahir votre voisin par la force, nous – l’Occident – ne bougerons pas. » Nous ouvrons la porte à une généralisation des conflits de Taïwan aux Corées, en passant par une attaque frontale iranienne sur Israël, sans parler de l’extension de la Fédération de Russie dans le Caucase, les pays baltes ou la Pologne. Nous enverrons un signal fort de faiblesse. D’une Europe affaiblie au-delà de son état actuel, notamment par notre absence d’action envers Gaza, qui contribue à notre fragilisation.
Actuellement, tous les signes mènent à penser que l’Europe est sur le point d’abandonner l’Ukraine à son sort. Premièrement, nous avons pu constater que l’Europe n’a pas réalisé ses promesses, et n’a envoyé qu’à peine 30% du million d’obus promis à Kyiv. Les chancelleries européennes crient à la rupture de stock, elles auraient déjà envoyé tout le surplus qu’elles possédaient. Mais la confection des obus ne suit pas le rythme. En effet, à contrario de la Russie, l’Occident n’est pas en économie de guerre, elle n’a pas ses usines qui tournent à plein régime afin de produire des obus. La Russie prévoit pour l’année 2024 près de 2.7 millions d’obus, selon le Kyiv Independent, nous ne rivalisons pas, et de loin.
Ce qui devait être une opération éclair en février 2022 s’éternise
Poutine n’est pas fou, loin de là, c’est un stratège. Il suit une méthodologie très précise, bien que ses calculs concernant son opération spéciale éclair en 2022 se soient révélés faux, il a attaqué lorsque la conjoncture internationale le lui permettait. À cette époque, les récentes élections en Allemagne, la France en pleine campagne présidentielle, un déclin de l’influence américaine sur le plan international,ac centué par leur retrait controversé d’Afghanistan. Signant la fin de la guerre en Afghanistan, une guerre s’étant révélée être une erreur stratégique de taille ainsi qu’une tombe à ciel ouvert pour les jeunes états-uniens.
Le suspens des élections américaines et européennes
Aujourd’hui, nous sommes à nouveau à la veille d’une conjecture qui lui sera favorable avec la possible élection de Donald Trump aux États-Unis, qui refondrait l’idée de l’OTAN, et de son financement. De plus, Trump a récemment affirmé qu’il pousserait Moscou à faire ce qu’elle veut avec les membres de l’OTAN qui n’ont pas atteint leurs objectifs en matière de dépenses militaires. » Réaffirmant son attachement à la Russie, mais surtout son détachement des affaires européennes. L’Europe doit avoir un soubresaut afin de comprendre qu’elle ne peut pas, pour le moment, endosser sa sécurité seule.
Les élections européennes, ainsi que la montée des extrêmes dans toute l’Europe, poussent l’Europe entière dans les bras du populisme. Depuis le déclenchement de l’invasion des territoires ukrainiens, l’Europe a fait face à deux hivers de crises. De fait, la montée des prix, et la baisse du niveau de vie ont grandement contribué à ces mouvements. Mais n’oublions pas, en France, que ce soit l’extrême droite de Marine Le Pen ou l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon, les deux partis sont payés ou ont des avoirs en Russie.
On se le demande : qui, depuis des années, martèle l’idée de tendre un rameau d’olivier à la Russie, favorisant l’idée de terminer la guerre en Ukraine par un processus de paix qui impliquerait de laisser les territoires envahis sous contrôle russe ? Les deux partis susnommés.
C’est le cas en France, mais ça l’est aussi dans les autres pays européens. De nombreux articles le démontrent dont l’ouvrage de Françoise Thom, intitulé Poutine ou l’obsession de la puissance, qui démontre des liens entre les fermes à bots russes et les partis populistes en Europe.
Sans compter une perte de la crédibilité occidentale qui dénonce Poutine comme un criminel de guerre suite à ses exactions en Ukraine, comme à Butcha, Marioupol, ou Bakhmut, mais qui se tait face aux exactions du régime de Netanyahou sur la bande de Gaza, la Cisjordanie, la Syrie ou le Liban, une réaction disproportionnée malgré les exactions du Hamas 7 octobre 2023. Une fois de plus, Poutine a réussi à faire changer la façon dont le monde le voit, et le rapport que ceux-ci ont avec les Européens. Encore et toujours considérés comme des coloniaux, impérialistes.
La colère des agriculteurs, en Pologne et ailleurs
Nous pourrions alors nous demander quelles seraient nos solutions. Que devrait faire l’Europe ? Dans une telle conjoncture, le risque est, que lors des élections européennes, les partis populistes prennent le pouvoir est très grand. Mais pour ces partis, pour le moment, la guerre en Ukraine est la cause de tous les soucis européens. La crise agricole est récupérée et amplifiée afin de mettre la faute sur la possible entrée de l’Ukraine dans l’Union, et l’invasion des produits ukrainiens sur le territoire, au détriment des agriculteurs nationaux. C’est le cas notamment ici en Pologne, où la colère agricole gronde depuis le début décembre, et obstrue la frontière ukrainienne. Une crise négligée dans un premier temps par les élites polonaises, qui, dans une période de transition de pouvoir, aucun parti n’a souhaité assumer la responsabilité. Celle-ci s’est aggravée dans les dernières semaines avec divers coups de pression des agriculteurs polonais qui a résulté à une augmentation des tensions entre Varsovie et Kyiv.
La problématique des produits ukrainiens sur le marché européen n’était pas le cœur des revendications au début des protestations. En effet, la problématique de fond dans la crise agricole, revient à un sentiment de manque de considération du travail effectué par la profession, un Green Deal mal calibré, et mal accompagné, et une distance toujours plus grande dans la compréhension entre les populations citadines et les populations rurales, mais aussi une politique européenne qui n’est pas la même entre les différents pays de l’Union, mettant en concurrence les agriculteurs au sein même du marché commun en plus du commerce extérieur.
À tous ces problèmes, un seul coupable tout désigné : la guerre en Ukraine !
La montée des prix en Europe ? La Guerre en Ukraine. Les pénuries d’énergies ? La Guerre en Ukraine. La colère agricole ? La Guerre en Ukraine. Finalement, il est plus aisé de monter la population contre un ennemi commun, que de tenter de résoudre des problèmes systémiques. Une partie des sujets d’actualité sont alors reliés à la guerre sur le territoire ukrainien. Ce ne sont donc pas ces partis qui vont pousser à investir dans une défense commune européenne, ou une économie de guerre, puisque pour eux, trop d’argent est déjà parti pour une guerre dont les enjeux dépassent leur compréhension du monde qui les entoure.
Les dernières données de l’IFOP (Institut d’études d’opinion et marketing en France et à l’International), issues de la sixième série de sondages sur l’Ukraine, révèlent que les opinions négatives ou très négatives envers l’Ukraine sont plus fréquentes parmi les électeurs de certains partis. Ainsi, 41% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, 51% de ceux de Marine Le Pen, et 68% des partisans d’Eric Zemmour expriment une vision défavorable de l’Ukraine. En contraste, seulement 26% des soutiens du parti au gouvernement partagent cette opinion négative.
L’appât de la guerre en Ukraine devient alors une publicité pour leur élection. Et il n’a pas fallu beaucoup de temps avant que des groupuscules complotistes, à faveurs populistes, aient repris l’information afin de dénoncer le fait que les partis dits traditionnels appellent à la guerre généralisée en Europe, appellent à la confrontation directe armée avec la Russie.
Le 7 mars, le président français enfonce le clou et continue sur le même ton
Emmanuel Macron a réaffirmé le 7 mars devant les partis d’opposition ainsi que ses deux anciens prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, une “ambiguïté stratégique” vis-à-vis du Kremlin, réitérant dans le sens de ses déclarations la semaine précédente. Un nouveau tour de force de la part du président, dans un contexte où une majorité de ses alliés européens et états-uniens l’ont désavoué. Alors qu’en toile de fond se déploie l’exercice Dragon24 en Pologne, se fondant dans la série STEADFAST DEFENDER, plus grand exercice militaire de l’OTAN depuis le début du siècle. Un exercice qui pour le Chef d’État major de l’Armée de terre, Pierre Schill, témoigne sur les réseaux sociaux : “une nouvelle fois de la crédibilité et de son implication déterminée au service de la posture défensive et dissuasive de l’OTAN.” Une armée de terre française, plus prête que jamais à une potentielle confrontation armée sur le sol européen.
C’est, pour ces raisons que certains observateurs dénoncent la déclaration d’Emmanuel Macron comme ayant desservi la cause démocratique en ces temps d’élections européennes.Si nous n’étions pas dans un tel moment charnière dans la politique internationale, il aurait suffi d’une volonté commune des États européens – Occidentaux – afin de relancer la machine de l’économie de guerre et espérer vaincre la Russie sur le long terme, à coup de millions d’obus livrés à l’Ukraine.
La situation actuelle découle aussi de la responsabilité occidentale, dans la gestion de la crise ukrainienne. Si l’Occident avait envoyé les équipements militaires, à l’instar de la Pologne, qui est une des nations qui a le plus contribué à l’effort de guerre nécessaire à Kyiv dès le début du conflit de haute intensité. Si les Européens et les États-Unis leur avaient envoyé les Léopards, challengers, F14 et autres missiles de croisière, et système d’artillerie, la Russie n’aurait pas eu les moyens de résister, et l’avancée que nous avons vue à la fin de l’été 2022, aurait été décuplée et la guerre aurait pu être terminée.
L’Europe et Washington ont eu peur et ont laissé la dangereuse possibilité à Moscou de se remettre en question, et de s’adapter. Rappelons qu’à l’exception de la guerre d’Afghanistan, la Russie – qui peut être mise au même titre que l’Union soviétique – n’a jamais perdu aucune guerre. Mais comme nous le savons tous, avec des si, on peut mettre Paris en bouteille.
Louis Sandro Zarandia