Les français de Suisse se sont très peu pressés aux urnes dimanche, avec un taux de participation de 24,43% pourtant, à la fin du mois l’avenir de la France et de l’Europe se jouera à nouveau. Est-ce que cela les motivera plus ? En effet, ce dimanche 9 juin 2024, un ouragan politique a balayé l’Europe. À l’issue de la publication des résultats des élections européennes, le parti qui se place à l’extrême droite Rassemblement National a fait un score exceptionnel de plus de 30%. Ce score devance de plus du double de voix sa concurrente la plus proche, Valérie Hayer, membre du Parti présidentiel Renaissance. Le Président Emmanuel Macron s’est retrouvé face à une évidence démocratique : la dissolution de l’Assemblée Nationale. Décryptage du tremblement de terre politique de la décennie.
Dissolution de l’Assemblée nationale : un choix ou une contrainte ?
Le Président de la République française n’avait d’autre choix que de dissoudre une Assemblée, qui depuis quelques semaines déjà paraissait très peu démocratique. En effet, les partis d’opposition, susnommé le Rassemblement National, demandaient à de nouvelles élections. Le peuple français n’était plus correctement représenté selon les sondages qui donnaient le RN gagnant des élections.
Il a fait face notamment à des critiques au sein même de son parti, et le risque de le voir se dissoudre notamment avec certaines têtes de listes qui souhaitent se représenter en 2027, ou l’aile gauche de son parti lui en voulant pour la loi sur l’immigration. Cette dissolution lui a permis de forcer ses partisans à resserrer les rangs et couper toute contestation ou accusation contre sa politique.
De plus, certains observateurs voyaient les motions de censure à l’automne arriver, notamment face au budget, poussant le Président à la dissolution. Aujourd’hui Emmanuel Macron a pris l’avantage sur les évènements, en prenant de court les partis politiques et leur laissant à peine trois semaines pour s’organiser.
Bien que de nombreux politiciens de tous bords aient dénoncé cette action subite du Président, la qualifiant de non-réfléchie, ou de rampe de lancement pour l’entrée du RN au pouvoir, nous devons au contraire faire chapeau bas. C’est une pirouette politique effectuée avec brio. Dans le cas où la dissolution n’aurait pas eu lieu, la critique aurait été facile contre son régime, tout comme les qualificatifs de non-démocratie, ou les surnoms tels que Jupiter.
Aujourd’hui il espère donner un coup de pied dans la fourmilière afin que les partis traditionnels sortent du bois et fassent barrage à l’extrême droite. C’est une réussite. En moins de 72 heures les partis de gauche ont réussi l’exploit de s’allier sous la bannière de Front populaire. Nous reviendrons sur ceci par la suite.
Que se passerait-il si le RN obtenait la majorité ?
Dans le cas où le RN obtiendrait une majorité au parlement, ils seraient en mesure de présenter un premier ministre de leur parti, qui ne serait autre que Jordan Bardella. Il devrait alors quitter son mandat au Parlement Européens, ce qui pourrait éventuellement fragiliser le Rassemblement National dans l’hémicycle. Le coup de poker peut être un peu plus fou du Président serait de démontrer l’incapacité du RN à faire quoi que ce soit de constructif durant les deux prochaines années de coprésidence. À voir quelles pourraient être les retombées électorales.
Ce séisme politique comme nous le nommions en début d’article est de telle taille que toute l’Europe ressent les secousses. En effet, si la France tombe entre les mains de l’extrême droite eurosceptique, de grandes questions se posent quant à la suite de sa survie idéologique.
Sur les réseaux sociaux, terrain de jeux favoris du jeune électorat, et terrain de séduction des populistes, un monde complètement bipolaire s’affronte. D’un côté, Jordan Bardella a su séduire avec sa personnalité, sa beauté et son charisme. Des montages de toutes sortes le montre charismatique lors de meetings, interviews ou débats télévisés. De l’autre, les militants La France Insoumise (LFI), l’autre extrême de l’échiquier politique français, accusent toutes personnes ne pensant pas comme eux de « fachos ».
Comment les équipes de Jordan Bardella gère cette campagne ?
Du côté de Jordan Bardella, une grande communauté relaie ses vidéos, parle de lui et fait campagne pour lui. C’est simple, une fois que vous avez vu et liké une vidéo de Jordan Bardella, votre fil d’actualité sera durant des jours enfermé dans une chambre d’écho. C’en est de même avec les vidéos de militants de LFI. Une exposition médiatique vers une génération plus jeune qui explique un fort taux de vote chez cette tranche de la population pour les extrêmes- Près de 30% des 18-35 ans ont voté Jordan Bardella, 20% LFI contre à 10% pour Raphaël Glucksmann et à peine 5% pour Valérie Hayer. Les réseaux sociaux ont réussi petit à petit à banaliser les extrêmes.
Ce paysage dépeint laisse oublier qui est le RN et quelles sont ses idéologies. Il est vrai qu’une partie de son électorat a voté pour sa belle gueule plus que pour son programme. Il est vrai que dans tout cela, une partie de cet électorat convaincu par ses discours qui font peurs, touché par des paroles proches du peuple, apeuré par la description apocalyptique des autres : ces immigrants qui volent leur travail et leur aide sociale, en plus de son beau minois, a oublié les racines du RN.
Et la Gauche, dans tout ça ?
On ne peut pas réduire la population qui a voté en faveur de Jordan Bardella, a de simples personnes racistes, peu éduquées, et ou agraire. Une partie des votants ont voté contre un système qui ne les écoute plus depuis des années. Contre une gauche qui ne les représente plus. Contre une gauche divisée qui paraît se soucier que de problèmes de niches, réservés à une population aisée et citadine.
Puisque c’est vrai, quoi que l’on dise, la gauche française a son rôle à jouer dans la tragédie politique qui s’écrit dans le pays. Une gauche divisée depuis des années, qui peine à rassembler les foules, qui peine à former des alliances, rongée par une course au pouvoir, et l’abandon de la maxime même de la politique : représenter son électorat, représenter le peuple.
Une lutte interne qui s’est vu dès l’annonce de la dissolution de l’Assemblée, où à la place de s’allier sous une même bannière, contre le Rassemblement National, la Croisade anti-Raphaël Glucksmann a été menée avec succès. La façon dont le LFI traite le PS, pourtant majoritaire aux élections de 5 points, montre que la gauche n’est pas prête à s’allier. Le Front populaire risque d’être un second NUPES, qui sitôt les élections passées se dissolvera aussi vite qu’il s’est fondé.
Une critique intéressante du LFI serait le fait que celui-ci se montre aussi vorace que s’il avait obtenu plus de 10% des voix, ce qui n’est pas le cas. Un comportement qui agaçait une partie de l’électorat, de la même façon que les militants écologistes agaçaient la population avec ses jets de soupe. Peut être qu’aujourd’hui le militantisme convainc une partie de l’électorat, mais à contrario répulse une grande partie de celui-ci.
La Gauche française a son rôle à jouer de par son inaction sur les sujets populaires. Là où historiquement la gauche défendait les ouvriers et les cheminots, celle-ci délaisse ces combats pour des combats tout aussi nobles, mais moins populaires dans les zones rurales et plus pauvres de la France.
Le terreau du populisme
Le terreau est alors fertile, quand une population se sent délaissée par ses politiques, la carte de la peur est jouée. Le Rn démontre alors par une rhétorique frauduleuse que tout est de la faute de l’autre, de l’étranger, que lui ne côtoie pas, mais qui lui vole son travail, ses allocations, ses impôts. Le populisme naît, dans le sillon de la retraite des partis traditionnels.
Aujourd’hui, dans un monde polarisé au maximum, il est important de rappeler certaines choses. Non, les personnes qui ont voté pour les partis d’extrême droite ne sont pas tous des cons, ou des imbéciles. C’est un vote démocratique, et tout un chacun a le droit d’avoir ses idéaux. C’est la base de du régime français. Bien entendu dans l’autre sens, les discours de haines et apologies à des temps sombres du continent n’ont pas leur place sur le devant de la scène médiatique, et encore moins dans les parlements.
Ce n’est pas une honte pour la France. Mais c’est une honte pour l’Europe, et pour les autres partis de l’échiquier politique. C’est l’aveu de leur défaite, alors même que depuis deux mandats l’arrivée du RN au pouvoir se fait sentir. C’est l’aveu d’une déconnexion entre la technocratie politique et le peuple français.
Le parti LFI est un parti tout autant extrémiste que le RN. Il utilise les mêmes discours de haine, contre son adversaire. La marginalisation des avis non conformes du débat, et l’exclusion des
personnalités qui ne pensent pas complètement comme eux amène une polarisation du débat. Les attaques répétées contre la tête de liste du PS, ainsi que la binarisation du débat, sont tout aussi dangereuses que le populisme.
Le conflit ukrainien, grand oublié au profit de Gaza ?
À travers les attaques et la désinformation relayée contre Raphaël Glucksmann, vis-à-vis de son positionnement tardif sur le sort des Palestiniens, une hiérarchisation des conflits se met en place, faisant lutter au plus haut lieu la légitimité du conflit Ukrainien et du conflit Gazaouis. Une hiérarchisation très dangereuse, puisqu’à travers celle-ci, le jeu de la Russie est joué. N’oublions pas que l’avenir de la sécurité européenne se joue aussi aux portes de l’Europe, juste de l’autre côté de la frontière polonaise.
La question aujourd’hui est de réfléchir à l’avenir de l’Europe, et de son identité. Ce n’est pas une question de quel conflit est plus juste ou non, mais une question pragmatique de quel avenir voulons-nous pour l’Europe, et la France.
Le barrage contre l’extrême droite n’est pas une question, mais un devoir moral, mais la haine que cela engendre, elle, n’est pas morale. Aujourd’hui une alliance doit se former, et les français doivent empêcher l’avènement de la peste brune au pouvoir. Mais demain, un audit interne doit se faire, et l’on doit se poser la question de ce qu’est le but d’un parti traditionnel, et quelle est sa vocation. Il nous faut sortir de cet ère dédié au culte de la gloire personnelle ainsi qu’à l’égocentrisme politique, tout en se penchant sur les besoins réels du peuple, sans délaisser les autres combats.
Un agenda qui semble chargé, mais qui sera essentiel à l’avenir européen.
Mais une telle réussite devra se faire avec la participation au maximum de l’électorat français en France et à l’étranger, une fois de plus n’oublions pas que les convaincus votent. Mais tout un chacun peut faire la différence, même depuis la Suisse.
Louis Sandro Zarandia